Article du site http://www.liberation.fr (04/11/2012) :
L’économie sociale et solidaire (ESS) réunit 10% des salariés français dans des structures où l’humain prime sur le profit. Un modèle qui peut se généraliser ?
L’économie sociale et solidaire (ESS) réunit 10% des salariés français dans des structures où l’humain prime sur le profit. Un modèle qui peut se généraliser ?
Et si, face à la crise et aux dérives du capitalisme financier, la porte de sortie était à chercher du côté de l’économie sociale et solidaire (ESS) ? A l’heure où les finances publiques sont asséchées et où des vols de «Pigeons» obscurcissent les cieux politiques, celle-ci fait entendre une musique différente. Objectif lucratif limité, finalité sociale, ancrage territorial et gouvernance démocratique composent la partition. Avec un thème récurrent : l’entraide, la coopération et la solidarité économique. «Il ne s’agit pas seulement de valeurs, cela peut aussi être des modèles de développement», résume Claude Alphandéry, «parrain» historique de l’ESS (lire page 4). Mine de rien, cette économie «alternative» représente déjà 10% de l’emploi salarié (plus de 2,2 millions de personnes !) et 8% du PIB. Elle a créé plus d’emplois en dix ans que le secteur traditionnel et a crû trois fois plus vite.
Utopies. Pas mal pour celle qui apparaissait encore
il y a peu comme un grand machin hétéroclite, fait de mutuelles et de
banques aux milliers de salariés, de petites associations animées par
des bénévoles et de coopératives ouvrières héritées des utopies seventies.
Au mieux, on lui concédait un rôle réparateur, mais dépendant des
subsides publics, à travers les entreprises d’insertion et les
associations d’aide sociale. Au pire, on la considérait comme un truc de
bobo-baba cool, en dehors de la «vraie» économie. Y compris à Bercy, où
la création, en mai, d’un ministère ad hoc a été prise de haut. «Ignorance, scepticisme et un brin de condescendance»,
confie-t-on aujourd’hui dans l’entourage de Benoît Hamon, ministre
délégué à l’Economie sociale et solidaire. Ce dernier défend bec et
ongles les vertus du modèle : «L’ESS s’est montrée plus robuste
parce qu’elle repose sur du long terme. C’est l’association de la
tempérance et de la performance.» Et multiplie les visites sur le terrain.
Lundi dernier, il était à Amiens, dans les locaux d’A Cappella. Un
centre d’appel en apparence classique, avec ses grands plateaux de
téléconseillers, le casque vissé sur les oreilles. Mais A Cappella a une
originalité : c’est une Scop (Société coopérative et participative), la
seule de son secteur. Un tiers des salariés sont associés aux décisions
stratégiques concernant l’entreprise, selon le principe «un homme, une
voix» (le nombre de sociétaires varie selon les Scop, car il y a des
critères d’ancienneté et tout le monde ne souhaite pas l’être. Mais dans
toutes, les associés ont au moins 51% du capital et 65% des droits de
vote). Chez A Cappella, les rémunérations sont équivalentes à celles que
l’on peut trouver chez ses concurrents, mais les CDI y sont plus
nombreux. C’est aussi une société en pleine croissance. «Preuve que l’innovation sociale peut être porteuse de compétitivité», affirmait son patron, Patrick Lenancker, devant le ministre.
Même satisfaction du côté d’Acome, une entreprise spécialisée dans le
marché des câbles, fils et tubes de synthèse basée à Mortain, en
Normandie. Cette autre Scop, la première de France en nombre de
sociétaires, a été créée en 1932 par les ouvriers suite à la faillite
d’un patron qui avait spéculé sur les matières premières. «Depuis quatre-vingts ans, 50% de notre résultat alimente les fonds propres de l’entreprise, explique Jacques de Heere, son dirigeant. Ces réserves nous permettent de tenir bon en temps de crise et d’assurer la pérennité de notre société.»
Recyclage. Résistante, performante, l’ESS se montre
aussi innovante. Sans tapage, elle a défriché de nouveaux domaines
d’activité délaissés par le secteur capitalistique parce qu’ils ne
semblaient pas pouvoir dégager de marges alléchantes. Ses entreprises ou
associations ont été pionnières dans le recyclage, l’alimentation bio,
le microcrédit et une bonne partie de la filière verte.
Autre grand atout de l’ESS, l’innovation sociale. Les SEL (systèmes
d’échanges locaux) et autres monnaies alternatives, considérés il y a
peu comme l’apanage de doux rêveurs, se diffusent de plus en plus dans
les collectivités, qui en perçoivent désormais l’efficacité. La
gouvernance démocratique du secteur permet, au moins sur le papier, une
implication forte des salariés, source de performance. «Ils sont plus concernés et mobilisés que dans une entreprise classique»,
confirme Jacques de Heere. Ce modèle attire ceux qui refusent un
management hiérarchisé et vertical. Au passage, on redécouvre ainsi
l’origine de l’ESS. «Les premières mutuelles et coopératives du milieu du XIXe siècle
sont issues de cet "associationnisme solidaire", qui avait pour but
d’introduire la notion d’égalité dans la vie sociale et économique», raconte le chercheur Jean-Louis Laville (1).
Aujourd’hui, dans tous les secteurs, des microentreprises et des
associations «nouvelle génération» expérimentent des façons de
travailler ensemble sur des modes horizontaux, aidées par la Toile et
les réseaux sociaux. C’est le côté Larzac 2.0 de l’ESS actuelle, qui
reste bien sûr encore le fait d’une minorité.
Car, évidemment, tout n’est pas rose dans l’ESS. «Nous ne sommes pas dans l’économie des gentils entrepreneurs contre les méchants capitalistes»,
souligne Benoît Hamon. Beaucoup de structures restent dépendantes des
fonds publics. C’est une chose de ne pas viser le profit comme but
ultime de l’activité, c’en est une autre de lutter tous les mois pour se
maintenir à flot. Côté gouvernance, les dérives autocratiques
n’épargnent pas les acteurs de l’ESS. «Le principe "un homme, une
voix", séduisant au départ, peut se traduire par des votes à mains
levées, des listes uniques, des scores soviétiques», prévient Philippe Frémeaux, président de la Scop Alternatives économiques (2).
Au-delà de ces critiques, la vraie question reste celle de la
généralisation du modèle. L’ESS peut-elle se diffuser sans perdre son
âme ? Natixis, créée par les groupes Banque populaire et Caisse
d’épargne, poids lourds du secteur coopératif, a plongé la tête la
première dans la crise des subprimes. Dans ce cas précis, la vision
fondatrice de l’utilité sociale avant les profits est passée aux
oubliettes. La future loi sur l’ESS, prévue au printemps 2013, devrait
permettre aux acteurs du secteur de se transformer en groupes et
d’effectuer ainsi ce changement d’échelle qui leur fait pour l’instant
défaut. Une manière de voir si les idées promues par cette économie
différente peuvent réellement amorcer un «changement durable», comme on dit dans le langage de l’ESS.
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