mercredi 14 novembre 2012

Prix Pinocchio : les cancres du développement durable

Article du site http://ecologie.blog.lemonde.fr (13/11/2012) :

C'est une anti-récompense dont les entreprises se passeraient bien. Chaque année, les Amis de la Terre décernent les Prix Pinocchio, bonnets d'âne du développement durable, aux groupes qui communiquent en faveur de l'écologie sans se soucier des conséquences environnementales et sociétales néfastes de leurs activités. Mardi 13 novembre, trois d'entre eux ont été désignés par un vote de 17 000 internautes, pour la 5e édition de l'événement : Lesieur, Bolera Minera et Areva.

Dans la catégorie "Plus vert que vert", qui concerne ce que l'on appelle le greenwashing*, c'est Lesieur qui remporte la mise. En cause : la campagne publicitaire "Aidons la Corne de l'Afrique : une bouteille d'huile Lesieur achetée, une bouteille envoyée", censée illustrer l'engagement de l'entreprise en matière d'aide aux populations africaines souffrant de famine. Selon le site du groupe, 20 tonnes d'huile ont été envoyées à Djibouti le 1er septembre 2011, dans le cadre du Programme alimentaire mondial. Seul bémol : Lesieur est la filiale du groupe Sofiprotéol, l'un des principaux producteurs et promoteurs d'agrocarburants. Une industrie accusée de participer à l'insécurité alimentaire dans les pays en développement en concurrençant les cultures vivrières, de contribuer à la hausse mondiale des prix alimentaires constatée depuis 2007, et d'aggraver la déforestation tropicale. "On est face à un cas d'école d'une campagne de communication positive qui cache une action bien moins verte et vertueuse", livre Romain Porcheron, chargé de la campagne sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises aux Amis de la Terre.

La catégorie "Une pour tous, tous pour moi !" qui attrait à la surexploitation des ressources naturelles, dénonce, elle, Bolera Minera, une joint-venture formée par les entreprises Bolloré et Eramet. Le groupe a obtenu en 2010 un permis d'exploration pour la recherche de lithium en Argentine, dans une région où vivent 33 communautés indigènes. Ces populations, qui affirment ne pas avoir été consultées, se sont mobilisées : une plainte a été déposée devant la Cour Suprême d'Argentine à l'encontre des gouvernements locaux ainsi qu'auprès du Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui a remis, en juillet 2012, un rapport pointant les impacts socio-environnementaux de l'exploitation du lithium dans la région de Salinas Grandes - énorme salar situé au centre du pays. "Régulièrement, les multinationales profitent de la faiblesse du droit dans les pays en développement pour développer leur activité au détriment des populations locales", regrette Romain Porcheron.

Enfin, Areva remporte le prix "Mains sales, poches pleines". Motif ? Avoir nié sa responsabilité dans la dégradation des conditions de vie des populations vivant à proximité de ses mines d'uranium en Afrique. Le géant du nucléaire avait notamment refusé de reconnaître son implication dans le décès de l'un de ses ex-salariés, Serge Venel, mort d'un cancer du poumon en 2009 à l'âge de 59 ans, après avoir travaillé de 1978 à 1985 pour une filiale d'Areva, la Cominak, qui exploite des mines d'uranium au nord-ouest du Niger. En mai, le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Melun a condamné le groupe, jugeant qu'il avait commis "une faute inexcusable", en tant que "co-employeur".

Un prix Pinocchio d'honneur a en outre été remis à Vinci, de manière collégiale avec les autorités françaises et russes. Le géant français du BTP est pointé pour deux projets dont il est le concessionnaire : l'aéroport Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), dont la construction, qui doit en principe débuter au printemps 2014, entraînerait le bétonnage de 1 650 hectares de terres agricoles et une perte de biodiversité ; et la future autoroute qui doit relier, l'an prochain, Moscou à Saint-Pétersbourg, à travers la forêt de Khimki, réservoir de biodiversité. "Vinci refuse d'entendre l'opposition des populations locales. Mais surtout, ces deux projets n'existeraient pas sans volonté politique", précise Romain Porcheron.

"Une fois de plus, les prix Pinocchio mettent l'accent sur les décalages entre les discours et la réalité, explique le chargé de mission. Les engagements volontaires des entreprises en matière de développement durable ont fait la preuve de leur inefficacité : ils leur permettent d'améliorer leur image auprès des consommateurs et des décideur,s au prix de lourds impacts sur l'environnement et les populations locales. Il faut donc un cadre juridique plus strict pour réguler l'activité des multinationales, et notamment de leurs filiales, dans les pays du Sud."

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