mercredi 18 avril 2012

Nouveau débat sur la mesure du PIB aux Nations Unies

Article du site www.novethic.fr (06/04/2012) :

 

Dans la perspective de Rio+20, les Nations Unies ont reçu le 2 avril à New York le premier ministre du Bhoutan pour une conférence spéciale sur le thème Bien-être et bonheur : définir un nouveau paradigme économique. Objectif : montrer une nouvelle fois l'obsolescence du Produit Intérieur Brut (PIB) comme mesure de développement.

 
"Le développement selon le critère du PIB encourage la croissance sur une planète aux ressources limitées. Cela n'a économiquement aucun sens. C'est la cause de nos actions immorales, irresponsables et auto-destructrices", a déclaré le premier ministre du Bhoutan Jigmi Thinley à l’occasion de la conférence des Nations Unies sur le sujet. "Le but du développement doit être de créer les conditions à travers des politiques publiques qui favorisent le bonheur de tous les citoyens", a-t-il continué.

Minuscule pays niché entre l'Inde et la Chine, le Bhoutan a réussi à faire entendre sa voix sur ce concept improbable du "Bonheur National Brut", pendant du "Produit National Brut". Lancé dans les années 70 par le dirigeant de l'époque à la tête de ce petit royaume de l'Asie du sud-est, il est aujourd'hui repris par les économistes les plus sérieux tels que le prix Nobel Joseph Stiglitz. "Le PIB par lui-même ne permet pas de promouvoir le bonheur", a annoncé ce dernier devant une audience de quelques 600 personnes lundi. "Les Etats-Unis ont vu leur PIB par habitant multiplié par trois depuis 1960, mais le niveau de bonheur n'a pas bougé. D'autres pays ont suivi des politiques différentes et ont réalisé des progrès bien plus importants en matière de bien-être, à des niveaux bien moins élevés de PIB", a souligné Jeffrey Sachs, qui a contribué à la publication du Rapport sur le bonheur mondial sorti à cette occasion. Le Bhoutan est à la première place dans ce classement pour la région asiatique.

Résolution de l'ONU 
La réunion du 2 avril fait suite au passage d'une résolution non contraignante de l'ONU l'été dernier, qui dénonçait le produit intérieur brut comme ne "reflétant pas de façon adéquate le bonheur et le bien-être de la population." Le rapport présenté lundi liste une série de mesures à mettre en oeuvre afin d'aller dans le sens d'une "croissance heureuse".

Parmi ces recommandations, on trouve la capacité des gouvernements à répondre aux besoins élémentaires de leur population, renforcer les systèmes sociaux, mettre en place des politiques d'emploi actives, améliorer les services de santé mentale, encourager l'altruisme et l'honnêteté et dissuader de "l'hyper-commercialisme". D'autres mesures sont plutôt de l'ordre du développement durable, comme la protection des écosystèmes, l'accent sur l'éducation ou le soutien aux communautés locales. "De nombreuses études récentes ont montré que dans de nombreux pays développés, y compris au Japon, le bonheur n'est pas proportionnel à la richesse économique", a expliqué le vice-président japonais des affaires étrangères Joe Nakano, "Ce résultat, souvent appelé "Le paradoxe du bonheur", est à l'origine d'une discussion internationale sur la promotion du bien-être par le biais de politiques publiques."

Pour autant ces discussions philosophiques à l'ONU ne sont pas du goût de tout le monde. Pour Frank Furedi, professeur de sociologie à l'Université du Kent, inclure le bonheur dans la mesure du développement d'un pays ouvre la voie à l'arbitraire : "Plus on inclut des paramètres intangibles et non-économiques, moins les résultats sont fiables. Ca permet juste au pouvoir en place de justifier sa politique et de suivre la définition qui l'arrange du développement." Le sociologue fait le parallèle avec l'Union Soviétique ou la Chine qui ont, en leur temps, aspiré à mener leur population vers le "bonheur universel". "Il faut se mettre d'accord sur ce qu'on va mesurer", souligne Charles Kenny du Center for Global Development, un centre de réflexion à Washington. "Par exemple, lorsqu'on mesure la mortalité infantile, on comptabilise le nombre de décès d'enfants qui ont entre 1 et 5 ans", explique-t-il. Les paramètres pour mesurer le bonheur, eux, manqueraient de rigueur selon lui.

"Recommandations pratiques pour Rio+20"
La remise en question du seul critère de la richesse pour déterminer le succès d'un pays ne date pas de l'initiative onusienne. Déjà en 1987, le rapport phare Brundtland sur l'environnement et le développement émettait des réserves. L'Index de développement humain et la Commission pour la mesure des performances économiques et du progrès social ont également bouleversé cette mesure purement matérielle du développement. La France a d'ailleurs été réceptive à ces idées lorsqu'en 2009, la commission Stiglitz remettait à Nicolas Sarkozy un rapport préconisant l'usage de critères alternatifs pour évaluer le bonheur d'un pays. L'OCDE s'est elle aussi emparé de ce thème en convenant de 22 indicateurs principaux et 35 secondaires, le tout réparti en deux catégories : les critères matériels (salaires, logements…) et ceux relevant de la qualité de la vie (pollution, santé, éducation…). L'organisation propose même une plateforme interactive en ligne , pour permettre aux gens de mesurer leur qualité de vie selon ces critères.

Quoiqu'il en soit, la conférence de ce début de semaine à l'ONU annonce la couleur du prochain Sommet de la Terre. Le premier ministre bhoutanais a souligné que les recommandations pratiques qui sortiront de cette réunion seront réunies dans un rapport destiné au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon et présentées à l'occasion de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement qui aura lieu en juin à Rio.

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